"
Système d) est une tentative.
Système d) est une expérience collective.
Système d) est une exposition. Elle résulte d’un ensemble d’éléments, d’étapes conceptuelles et d’actions concrètes:
Système d) est un système de substitution à l’atelier de travail.
Système d) n’a pas de système d’alarme ni de système d’électricité.
Système d) nécessite la mise en place d’un système d’entrée, de sécurité et de discrétion.
Système d) est un système de mise sous tension. Il nécessite un système d’attention et de surveillance permanent.
Système d) comprend un engagement juridique.
Système d) est un système idéalisé, pas idéal.
Système d) est un système qui n’est pas adapté, mais adaptable.
Système d) est une tentative. C’est un échec et une réussite.
Système d) est un système organisationnel composé d’individus, destiné à des fins de travail collectif.
Système d) comprend un
système culinaire riche et varié.
Système d) comprend un système d’éclairage de chez Mondo-bougies.
Système d) est un système incertain, mais qui possède des pinces crocodile.
Système d) est un système de monstration.
Système d) est un système de management entrepreneurial prônant l’efficacité.
Système d) est un système de production efficace et inefficace.
Système d) est un système d’installation et d’exposition, comprenant des objets, une affiche, de la sculpture et une performance.
Système d) comprend un système d’invitation restreint. Il engage au déronçage du sentier.
Système d) met en place un système de collation collective à base de farine, d'oeuf et de lait.
Système d) propose un système de déplacement dans l’espace.
Système d) comprend un système d’arrivée et de sortie.
Système d) est un point de départ.
Système d) disparaît, laissant derrière lui un système d’indices.
Système d) remercie tout particulièrement les personnes qui ont gravité autour de cet événement pour leur générosité et leur présence."
"Des voies de circulation pour fourmis discrètes se forment dans la ville entre leurs bases et l’objectif. Allers-retours vers une chambre à soi, avec pour façade la recherche de 'biens de première nécessité'. Mimer la solitude pour mieux faire groupe, se rejoindre à travers une carte en étoile pour retrouver le même point, une adresse, et y monter sa bâtisse. Espérer la partager lorsque le monde d’avant d’après arrivera.
J’attends de leurs nouvelles. Ni elleux, ni moi, ne savons exactement si la rencontre va bien avoir lieu, ou une autre par surprise va les arrêter en pleine course. Iels scrutent les bruits, je les entends. Leurs pas sur le lino gardent leur trace dans la poussière de la grotte, les flashs indiquent le chemin à suivre. Effaçant les distances je scrute, Google Maps me montre leur fenêtre dans celle de mon écran. Je projette ce qu’il s’y passe derrière sans lumière, un feu de gestes qui réchauffent les corps. Scène claire obscure, les corps sont éclairés à la bougie et aux smartphones. L’écran se reflète dans leurs pupilles en attendant que les autres hangars s’endorment, les laissant libres de se déplacer à nouveau.
Les premières photos, vidéos, captures d’écran arrivent enfin dans mon fil, je les télécharge, crée une cartographie du lieu. Je veux couper le carton mousse, voir les murs se dresser devant moi, modéliser leur cabane. Je leur réponds avec une carte SD par notre intermédiaire La Poste. 'C’est pourquoi au juste ?', j’atteste pour faire de l’art. Je reçois en contrepartie sa trace géolocalisée, qui retranscrit son passage d’adresse en adresse jusqu’à la casemate. Elle ne franchit pas les fortifications, reste sans réception.
Le téléphone vibre de 10h à 23h, mon sommeil se cale sur ce réveil, m’endormant quand le signal ne passe plus. Je les rêve en train d’attendre, que la dernière voiture des voisin·es rentre au bercail, que lea postier·ère leur apportent la lettre, leurs matelas qui côtoient la moquette, la cuisine dans la marmite qui frémit, les cuillères, transférant la chaleur de la soupe du bol à leurs mains.
Alors que les résultats se faisaient attendre outre-Atlantique j’attendais avec plus de ferveur encore des nouvelles des autres polytechnicien·nes. L’annonce tombe, vernissage sans visio cette fois,
Système d) éclot. Sans y être, je partage leur soulagement de prendre part à l’espace, d’avoir pu en faire un espace où des formes naissent. L’exposition je la reçois à travers leurs voix qui se croisent. Elles résonnent pour former un nouvel objet imprimé en 3D dans mon oreille."
"Mon coeur se serre.
Je les entends respirer.
Ça commence bien, il pleut. Pluie d’automne sans sursis, définitive. Il pleut partout. Il pleure sur la ville, sur la banlieue. Il pleut dans les squares, dans les jardins, dans les hangars. Il pleut sur les passants qui se ruent, il pleut sur les voitures qui cavalent dans les rues. Des gens accorent, des gens arriment, des gens naissent et des gens meurent. On vit, on se croise, on circule. Ce soir, ça louvoie en esse entre les gouttes bardées qui crible. Le flot de pieds mélange le bitume de tous les quartiers pour en faire une pâte uniforme déposée au seuil de l’entrée. Aujourd’hui c’est dimanche, on ne parle pas. On se tait. On sait ce qu’il faut faire.
J’avance entre les craquements des murs, entre les planches laissées quinconces le long de la fosse à pétrole. Droit devant moi, je coule, une impression lumineuse et douce qui surgit dans le hangar zone 1. Il ne reste que des vestiges que les reliques d’un soubresaut. Dans ce bâtiment, il y aurait eu idéalement des objets, des tables et des chaises, des outils ou des cierges, enfouis sous une poussière figée un peu partout surtout au dernier endroit où l’on s’en est servi. Un soupçon. Les êtres ont tout laissé tel quel dans l’entre-temps où d’autres sont venus fouiller dans la zone cherchant traces passées.
On imagine ensuite le fond, on reconstitue le son, là où on parle en masse, ensemble surtout, là où les bruits uniques, grincements de tôle, moteur frénétique, cris des fenêtres, se couvrent dans la cohue générée par MC2500. Shhhhhht. Quelqu’un sur le toit. Faux, semblant, c’est l’équilibre entre les bruits qui ne reviendront pas et les autres dont c’est la première sortie publique. Le bruit. Le silence du bruit. On s’est tu, et je me tue d’essence siphonnée. Ça dézingue dans la carcasse, ça brûle
in et
out. Les odeurs frelatées de consommable et de mécanique aromatisent le hangar zone 2. Mains noires et terres, c’est entre nos doigts que la mélasse se forme. Nos corps l’ont formé pour ne faire qu’un car sans ce liant les gestes s’effacent, sans trace, dans la nuit.
Alors, il faut savoir une autre chose, une chose très importante. Tous les groupes d’animaux sont nommés par un terme précis. On connaît l’essaim, le banc, le troupeau, la meute. Moi perso, je sais pas pour vous, mais j’avais acquis l’assemblée, la harde et le parlement. J’aurais pu deviner le panier, c’est bon l’été. Par contre, j’ignorais le noeud, j’ignorais le murmure et j’ignorais la compagnie. Mais surtout, celui dont je me méprends, c'était la flamboyance. La flamboyance d’un groupe, d’un tout, d’un rien. D’un manque. D’un doute dans lequel j’erre. Dans ces fausses aires, je système de surveillance. Je caméra. Je alarme. Je active. Je arme. Je pied-de-biche sous l’oreillé. Je désactive. Je périphérique. Je fais défaut de la situation. Nous sommes les surveillants de notre propre panoptique plastique ou l’échec et la victoire sont complémentaires. Surveiller ou puni.e.s.
La solitude a laissé place à quelque chose. Je m’interroge sur ce qu’il reste, ce qu’il nous reste. Les yeux pour pleurer ou la fin des mégots à fumer. Je doute que le souvenir doive se magnifier. Il doit rester ce qu’il a été, un enchaînement, une tentative de s’extraire de l’impasse du présent. Alors, je fixe le souvenir du froid, des angoisses plus que des peurs, et le réconfort de la nuit dans la chaleur de leur corps (chambre commune). Non, je n’oublierais jamais, après tout le meilleur moment de la journée c’est la pause clope."
"Les feux de détresse sont utilisés dans La Marine à deux occasions, en cas d’accident d’abord, mais aussi pour célébrer la victoire d’un.e skipper.euse à l’arrivée d’une transatlantique. Ici, il n’y a pas de feu de détresse si ce n’est son ombre, sa chaleur et son urgence. Il n’y a pas non plus la mer, mais un corps de bâtiment aux dimensions tout aussi vertigineuses. Complètement laissé à l’abandon, un groupe anonyme a fait le voeu commun de croire en sa réincarnation le temps d’une semaine et d’en avoir laissé les indices. Les restes de plâtre se projettent pareil à des organismes vivants, le tabac se transforme en terre dont on pourrait soupçonner l’inhalation et une courge est pendue au plafond, complètement recouverte d’une épaisse huile de moteur dont l’ingestion pourrait être hallucinogène. Des grandes bâches noires collées entre elles finissent par former un immense personnage, triste mascotte commerciale gonflée par la chaleur d'un réchaud et sa bonbonne de gaz. Les sources lumineuses se réduisent à quelques énergies dispersées: les lampes LED à pile enfouies dans des cocons de papiers qui ont le pouvoir, la nuit, de se transformer en stroboscope. Les pieds-de-biche deviennent des cierges, ces os blancs que la chaleur de nos paumes ramollit. Ici, la lumière est aussi à partager. Enfin, une dernière bougie proche des dimensions modestes d’un doigt pointe sa petite flamme vers un cocktail Molotov. Alors, avant d’envisager la moindre insurrection et d’espérer que le reste de Suze pourrait s’enflammer, le petit doigt éclaire une plaque d’argile encore molle dans laquelle a été inscrit le mot 'émue' et je crois l’avoir vraiment été lors de ce dimanche en famille."
"Il aura fallu plusieurs heures pour boucler les accès. À mesure que les mains ont ceint les dizaines de portes du bâtiment industriel, 8 membres ont enchaîné et cadenassé leur désir de liberté, être confiné en dehors de l'espace des lois qui nous effraient, se sentir vivant en composant une nation précaire, mais potentiellement résiliente et surtout bien portante: qui vit sur cette île ne craint pas les virus, il·elle a déjà été exposé·e et son corps a vaincu. Je glisse ma main dans une des fentes des portes spéciales poids lourds, tout a été calfeutré comme dans des entrailles d'hiver, un nid de bâches et de blanc de Meudon constitue les frontières de notre pays aveugle. Il faudrait quelques soleils intérieurs pour réchauffer les 4000m2 de hangars, il n'y a que nos petits organismes qui le traversent et réinjectent de l'énergie dans les blocs de poussières et l'huile moteur resté inerte, depuis 15 ans. Vivre en sous-marin signifie jouer au CCDI: cache-cache à durée indéterminée. Et pour célébrer l'arrivée de cet acronyme dans nos vies, pour la première et probablement dernière fois, nous avons rempli trois véhicules de choses indispensables. L'état de siège commence lorsqu'on pose un canapé quelque part. Tendrement, en dépeçant le rationnel des affects, nous avons affronté l'illégalité de notre présence, pris les chemins de traverse pour répondre aux milliards de questions qui surgissent de l'occupation: que sommes-nous aux yeux du monde? Qu’est-ce qui nous anime? Sommes-nous légitimes, dans nos existences administratives, à relever le défi de la sainte propriété? À en écouter l'avocate au bout du fil, les échelons 5 ou 6 des deux boursiers sans bail ne suffiront pas à cautionner nos gestes. Si tous nos procès sont perdus, si tous nos soleils sont bâchés, si notre île n'existe que pour nous, pourquoi rester ici? Dans notre royaume, on spécule comme on respire. Aborder les scénarios les plus terribles et la manière dont il faudra y répondre ouvre les chapitres crépusculaires et quelques terreurs nocturnes. 'Scénario 1: les flics arrivent, ils sont agressifs. Intimidation' est écrit devant l’établi qui nous sert de table du conseil. Les effluves d'incertitudes remontent jusqu'au dortoir improvisé et infusent nos cerveaux endormis, le matin on ramasse quelques cauchemars égarés. Cette nuit, je les entendais, les milices privées, comme un aboiement de chien lâché qui s'approche. Ce n'est qu'un motif morbide qui se forme dans les souffles désynchronisés des sommeils anxieux. Faire la vaisselle dans le noir, checker la boîte aux lettres la nuit, guetter le départ de l'employé d'en face, 21h30 pétante. Alors que les journées s'arrachent à 17h, nos rires se déversent dans les espaces non domestiques, comme une liqueur acide coulerait d'entre les tôles éventées, ils nous brûlent des lèvres, jusqu'à ce que l'un·e d'entre nous rappelle le serment du silence. Le chuchotement est le diapason de nos soirées, et si une partie d'entre nous a perdu le goût et l'odorat, chacun·e s'exerce à démultiplier l'intensité de son ouïe. En dix jours, les naufragés ont ouvert une bibliothèque de bruits et de sons, classés par ordre de menace. On attend qu'un avion passe pour brancher le générateur, pour biaiser au maximum les ouvriers fantômes qui nous encerclent. Comme un effet miroir avec l'entrepôt mitoyen, nous devenons nous aussi l'équipe nocturne d'une main-d'oeuvre performative. Juste avant minuit, on éteint nos frontales et nous frottons la dalle d'une même cadence comme le corps habile d'une chenille ratisseuse. Les uns derrière les autres, à l'unisson, nos bottes foulent les ronces des 40 mètres qui nous séparent de la rue, pour ouvrir une brèche dans la forteresse, inviter nos proches à se faufiler. Déjouer les interdictions de circulation, pour se frayer un accès dans le couvre-feu, glisser sur la crise sanitaire et louvoyer entre les états d'urgence d'attaques terroristes. Les situations inconfortables sont parfois la dernière respiration avant l'apnée. Avant d'étouffer morte de sclérose sociale, voilà que dans la quatorzaine d'yeux de mes camarades, des plus bruns ou plus clairs, j'ai noyé mes rancoeurs d'humaine, j'ai vu les cages thoraciques se détendre à la victoire de Biden, j'ai vu les corps se serrer pour avoir chaud, les dos se courber pour faire front, tous ces gestes qui, même débutant, ont fait repères chez mes ancêtres mutualistes. À la fin de l'histoire, c'est bien enfiler le bleu de travail qui nous a sauvés. Produire pour occuper le temps, prendre place, pour trouver l'adresse.La benjamine coule des cierges en forme de pieds-de-biche, un par habitant, discrètement enfilé dans les évacuations d'un garage à camion. Et l'aînée roule ses yeux partout dans les coins pour traquer un bout de sens à tout ça. Jusqu'à ce que, de ce paillasson démesuré, échoué en position foetale, se laisse pousser entre les poils drus une large bande de terre comme un muscle dessiné. Dans l'argile fraîche se trace un "venue" de bienvenue de malvenue qui est venue êtes-vous venus vous qui êtes ici, qui nous lisez, vous aussi venez."